Il existe en ces terres un minuscule hameau, enclavé entre la mer et un marécage, battu par les vents et séché par le sel. Les hommes et les femmes les plus vaillantes et intrépides avaient quitté le village l’été précédent laissant sa population exsangue. Ils avaient pris la mer sans horizon dans l’espoir de trouver un avenir plus lumineux. Entre les maisons robustes en bois durci par les embruns, il ne restait donc que les âmes les plus tenaces, les esprits les plus déterminés, leur corps chevillé à cette terre. Car aussi aride fût-elle, c’est ainsi que les dieux leur en ont fait le don. S’ils étaient prêt.es à y mourir, tous et toutes savaient que dans moins d’une génération plus personne ne vivrait ici. C’est obnubilé par ces pensées funestes qu’Yngvi chassait, les pieds enfoncés dans la vase persistante du marécage qui courrait jusqu’à la forêt la plus proche. Par réflexe, il posa la main sur l’idole de Ullr, le dieu chasseur qu’il portait en pendentif. Pourtant, sa foi s’était éteinte depuis longtemps. Depuis que les siens agonisaient, ni Thor, ni Odin, ni Freyja, ni même le Dieu des chrétiens n’avait daigné leur tendre la main. Qu’avait ce jour de différent des autres ? Yngvi n’en savait alors rien, mais, se dit-il que l’air était plus dense que d’ordinaire. Et son arc plus lourd aussi. Yngvi n’a su en dire davantage quand il fut de retour au centre de nos maisonnées, hébété, comme s’il avait bu. Mais au fil des jours, sa mémoire se délia. Il y a quatre cerfs célestes qui peuplent les branches d’Yggdrasil selon la tradition des anciens. Dainn, celui qui est mort, venait d’apparaître à un Yngvi pâle, cerné et osseux. À un Yngvi lui-même proche de la mort. De ses longues ramures, il fit deux objets qu’il offrit à l’humain. Une large et puissante épée insensible au temps et à la force de l’adversaire, ainsi qu’une longue aiguille à la surface si parfaite qu’elle permettrait de travailler sans mal le plus fin des tissus. << il n’y a pas pire que la mort qui ne vient pas, se souvint-il avoir entendu des babines immobiles du cerf. Mais tant que le cœur bat, on la combat. >> Élu à la suite de sa mésaventure par le dieu cerf, Yngvi devient le premier héritier de Dainn et succéda ainsi à Ulfinr. Notre hameau n’est peut-être pas prospère, il n’est peut-être même qu’une langue de terre desséchée, mais désormais c’est le territoire sacré du cerf dont nous sommes les héritiers. Nous la modèlerons pour en faire un royaume et nous la défendrons de ceux qui voudront nous la prendre. Dainnleifur ! Hjortgardr ! Toujours plus fort notre coeur bat !
Saga de Dainn, extrait des chroniques de Leif Eigilson
